L’anxiété de séparation: la comprendre pour mieux aider le cheval

Si vous évoluez dans le monde du cheval, vous avez sûrement déjà vu, ou eu à gérer, un cheval qui panique en s’éloignant de ses congénères. Vous savez, ce cheval qui hennit à pleins poumons pour appeler les copains, qui piétine sur le chemin des écuries en jetant des regards désespérés en arrière, voire même qui arrache la longe et rentre au grand galop vers son pré ou son box. Et puis il y a celui qui tape dans la porte du box lorsque les voisins partent, ou qui force les fils pour suivre son compagnon.

Ces situations peuvent sembler banales, et pourtant, elles traduisent chez le cheval un état de stress intense et de forte détresse émotionnelle. Cet état découle d’une peur d’être séparé de son congénère, ce qu’on appelle communément «l’anxiété de séparation». Il est important de comprendre qu’un cheval qui panique dans ces situations ne le fait pas exprès (ni dans n’importe quelle autre situation, d’ailleurs). Il réagit simplement et instinctivement à un instant T, face à une situation et à une émotion qu’il ne contrôle plus.

Mais que sait-on réellement de cette anxiété de séparation, quels en sont les manifestations, les causes et les facteurs aggravants? Et surtout, est-il possible de résoudre cette problématique comportementale? Le cheval peut-il apprendre à être serein lorsqu’il se retrouve seul?

La difficulté à s’éloigner d’un congénère: une problématique très équine

Le cheval est un être profondément social. À l’état naturel, cet animal de proie trouve sa sécurité auprès de son groupe. Son troupeau le protège. Dès lors, se retrouver isolé représente pour lui un potentiel danger.

Seulement voilà, les conditions domestiques dans lesquelles évoluent aujourd’hui nos chevaux, même si elles permettent de plus en plus (et c’est une très bonne chose !) une vie en «communauté», impliquent des séparations plus ou moins longues, et plus ou moins récurrentes. Et le cheval, éloigné de son voisin de pré ou de box, va réagir à cette perte de sécurité.

Mais alors pourquoi certains chevaux paniquent complètement alors que d’autres semblent ne pas se formaliser de cette séparation?

Une question de tempérament et d’environnement, mais pas que

L’anxiété de séparation est liée à un trait de tempérament, la «grégarité».

Pour rappel, des études scientifiques, et notamment les travaux de l’éthologue Léa Lansade, ont permis d’identifier cinq traits de tempérament chez le cheval:

  • La grégarité
  • L’émotivité
  • L’activité motrice
  • La réactivité vis-à-vis des humains
  • La sensibilité sensorielle

Et on le sait, chaque cheval est différent. Ainsi, si ce besoin de rester en groupe est inné, il est beaucoup plus marqué chez certains individus.

Pourquoi? La génétique, les apprentissages (ou le manque d’apprentissage), l’environnement, les expériences passées ou encore la relation à l’homme sont autant de facteurs qui entrent en jeu. Un cheval qui évolue dans un troupeau stable au sein d’un environnement serein et qu’on aura habitué progressivement à s’éloigner de ses copains aura moins tendance à réagir lors des séparations.

À l’inverse, un cheval dont le voisin de box change sans cesse et que l’on emmène en balade seul dans un environnement stressant et inconnu sera plus enclin à ressentir du stress au moment de s’éloigner. Il y a également ceux qui changent de troupeaux régulièrement, voire de lieux, et chez qui le manque de stabilité du groupe finit par instaurer un climat d’anxiété permanent.

La gestion émotionnelle et l’apprentissage jouent également un rôle clé dans la manière dont les chevaux vivent ces situations. Un cheval confiant à qui on aura appris à quitter sereinement ses congénères sera ainsi mieux armé pour faire face aux séparations qu’on lui imposera par la suite.

Comment aider le cheval?

La bonne nouvelle, c’est que l’anxiété de séparation n’est pas une fatalité. Des solutions existent et elles fonctionnent. L’anxiété, ça se gère, et la séparation, ça s’apprend. Le fait qu’il s’agisse d’une problématique multifactorielle signifie aussi que nous pouvons agir sur plusieurs facteurs pour aider le cheval (à l’exception de la génétique et du passé du cheval, bien sûr):

  • L’environnement: un troupeau stable, un milieu de vie connu et «validé» par le cheval, des habitudes rassurantes, des besoins fondamentaux respectés.
  • L’apprentissage: la séparation s’apprend progressivement et en respectant le seuil de tolérance du cheval. Avec patience, rigueur, adaptation et une ligne de conduite claire: la réponse est toujours le troupeau (ou le copain de box/paddock).
  • La gestion émotionnelle: un cheval peut apprendre à mieux gérer ses émotions et à tendre vers une certaine «autonomie émotionnelle». L’humain peut l’aider à trouver des moyens de s’apaiser et de se décontracter. C’est un apprentissage essentiel qui lui servira sur le long terme et dans de nombreuses situations.
  • La relation à l’homme: le cheval progressera d’autant plus qu’il peut compter sur un humain référent de confiance, bienveillant et maître de ses émotions (même si ce dernier ne remplacera jamais la sécurité représentée par le troupeau).

Et l’humain dans tout cela?

Les problématiques de séparation font souvent peser un lourd poids émotionnel sur les épaules de l’humain qui s’occupe du cheval. Ce poids émotionnel implique souvent:

  • De la culpabilité: l’humain se demande ce qu’il a fait de mal pour que son cheval ne veuille plus quitter son pré, s’il lui en demande trop, pas assez, s’il a loupé des étapes, etc.
  • Un sentiment de rejet: l’humain vit mal le fait que son cheval ne veuille pas le suivre, pense qu’il n’a pas confiance en lui, qu’il ne l’aime pas.
  • De l’incompréhension et de la colère: l’humain se sent dépassé par les réactions violentes du cheval, il peut le considérer comme un manque de respect.

Préparez votre ego, car celle-ci va faire mal: entre un humain et un congénère, le cheval optera toujours pour la deuxième option (du moins dans la grande majorité des cas). Ce n’est pas une question d’amour, de confiance ou de loyauté, c’est tout simplement une question de sécurité. La sécurité du cheval, c’est son troupeau (à défaut son compagnon de pré ou son voisin de box). C’est comme ça, nous n’y pouvons rien.

Ce que nous pouvons faire, par contre, c’est l’aider à trouver l’apaisement auprès de nous lorsque nous le séparons de ses repères dans le monde équin afin qu’il se sente plus en sécurité dans le monde humain.

Agir seul(e) ou se faire accompagner?

Alors oui, je me répète, mais c’est important: l’anxiété de séparation n’est pas une fatalité. Les chevaux ne finissent pas par s’y faire. S’ils arrêtent de paniquer, c’est qu’en général, ils se sont résignés, et je ne sais pas vous, mais moi, ce n’est pas la résignation que je recherche chez un cheval.

Chez certains individus, le problème sera réglé en quelques séances, tandis qu’il faudra beaucoup plus de temps (et donc de patience) à d’autres. Chaque cheval est unique et évolue avec son propre historique et dans un environnement différent. Il n’existe donc pas de solution universelle.

En agissant sur tous les facteurs précédemment cités, vous pouvez aider votre compagnon à mieux vivre les séparations. Et si vous avez peur d’aller trop vite, ou pas assez, et de ne pas savoir lire tous les signaux de stress et de montée en tension du cheval, alors n’hésitez pas à demander l’aide d’un professionnel formé et bienveillant qui saura vous guider tout au long du processus.

L’objectif final sera toujours le même: aider le cheval à avoir suffisamment confiance en nous, en lui et en l’environnement pour aller découvrir sereinement ce qu’il se passe de l’autre côté de la barrière, ou accepter de se retrouver seul pendant un certain temps. Car il n’y a pas que celui qui part qui peut souffrir.

Sources

  • L. Lansade, 2005. Le tempérament du cheval – Étude théorique – Application à la sélection des chevaux destinés à l’équitation
  • L. Lansade et M. Vidament, (2017, 1er mars) Le tempérament du cheval, IFCE. https://equipedia.ifce.fr/sante-et-bien-etre-animal/bien-etre-et-comportement-animal/temperament/le-temperament-du-cheval

Quelques mots sur l’auteur

Véronique Braun, comportementaliste équin et canin, s’est penchée sur ce sujet qui la touche personnellement pour son mémoire de fin de formation. Consultante en modification comportementale et en amélioration de la relation Homme-Animal, elle propose des accompagnements spécialisés sur cette thématique en présentiel (Nord-est de l’île de France) ainsi qu’à distance.

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